La récente épidémie de mpox déclarée urgence de santé publique de portée internationale (USPPI) en août 2024 a suscité une vague d’information massive1. Cependant, comme lors de la pandémie de COVID-19, la propagation de fausses informations, de désinformation et de rumeurs a considérablement exacerbé l’impact de cette crise sanitaire. Des affirmations erronées sur les modes de transmission et l’efficacité des vaccins ont largement circulé, notamment sur les réseaux sociaux, contribuant à la confusion et à la méfiance au sein des communautés. Cette surabondance médiatique, marquée par la diffusion d’informations inexactes, a amplifié la défiance envers les autorités et rendu la tâche des experts en santé publique plus complexe, compliquant la transmission de recommandations fiables et factuelles.
Les fausses informations, souvent propagées via les médias sociaux, créent un environnement où les rumeurs et idées erronées se renforcent mutuellement, éclipsant les messages d’experts5 . Ce phénomène, qualifié d'«info- démie » par l’OMS6, désigne la surcharge d’informations, souvent trompeuses, autour d’une crise sanitaire. Cette situation a eu des répercussions majeures sur les équipes de la Croix-Rouge au Gabon, entraînant stress, confusion et parfois une perte de confiance dans les stratégies de réponse.
Cet article explore les défis rencontrés par les personnels et volontaires de la Croix-Rouge face à la prolifération des informations erronées. Il propose également des pistes pour renforcer la résilience psychologique et comporte- mentale des équipes, en mettant en avant des stratégies de communication efficaces, une meilleure collaboration avec la société civile et l’importance de messages cohé- rents pour limiter les effets délétères des infodémies sur les réponses au sein des communautés.
Contexte et Défis
L’émergence du clade 1b du virus de la variole simienne, combinée à sa propagation rapide dans les pays voisins, a entraîné une surabondance d’informations souvent contradictoires ou alarmistes. Dans ce contexte, le minis- tère de la Santé du Gabon a signalé, le 22 août 2024, un cas importé de mpox, attirant l’attention des volontaires et du personnel de la Croix-Rouge, en première ligne de la réponse.
Les conséquences psychologiques des infodémies sur les travailleurs humanitaires sont bien documentées. Des études menées sur des épidémies antérieures, comme celles d’Ebola et de la COVID-19, ont démontré que la désinformation peut exacerber le stress, l’anxiété, l’épuise- ment professionnel et la perte de motivation des interve- nant7. Pendant l’épidémie de mpox, la stigmatisation s’est imposée comme un défi majeur, notamment dans les contextes où la maladie était faussement associée à certains groupes sociaux. Cette situation a compliqué davantage le travail des intervenants en santé, confrontés à des attentes élevées des communautés qu’ils servent, à des mises à jour scientifiques régulières et à des rumeurs diffusées sur les réseaux sociaux.
Pour les employés et les volontaires de la Croix-Rouge au Gabon, ces dynamiques ont généré des pressions supplé- mentaires au milieu des épidémies en cours. Il était donc crucial de comprendre comment ces infodémies affectent spécifiquement leur santé mentale et leurs comporte- ments professionnels. Ces impacts se manifestent notam- ment par :
1. Stress et anxiété accrue : L’exposition constante à des informations, souvent axées sur les risques et la gravité de la maladie, a exacerbé le stress émotionnel des équipes. Certains membres ont signalé un sentiment d’impuissance face à l’ampleur des informations à traiter. Une analyse des réponses à l'échelle GAD-710 a révélé une diversité dans les symptômes d’anxiété ressentis par les membres des équipes. La nervosité, l’inquiétude ou la tension ont été les symptômes les plus courants, signalés par 60 % des participants durée de "plusieurs jours." D’autres dimensions, telles que la difficulté à contrôler l’inquiétude, l’agitation ou la peur qu’il arrive quelque chose de grave, ont été principalement rapportées comme étant ressenties « pas du tout » ou « plusieurs jours », reflétant une variabilité importante dans les expériences des intervenants face à l'infodémie.
2. Confiance érodée: Les contradictions entre les sources officielles et non officielles ont semé le doute chez certains volontaires, compromettant leur capacité à transmettre des messages cohérents aux communautés. Lorsqu'ils ont été interrogés sur la fiabilité des différentes sources d'information, les autorités sanitaires ont été jugées les plus fiables, avec 54,5 % des participants les classant comme « très fiables ». La télévision et la radio ont suivi, avec 45,5 % des répondants partageant cet avis. En revanche, les médias sociaux et les médias imprimés/en ligne étaient moins bien perçus, seulement 4,5 % et 22,7 % respectivement les considérant comme « très fiables ». Les rumeurs et le bouche-à-oreille étaient les sources les moins fiables, avec seulement 2,3 % les jugeant « très fiables » et 31,8 % les qualifiant de « pas du tout fiables ».
3. Fatigue décisionnelle: Le besoin constant de discerner l’information fiable a conduit à une surcharge cognitive, réduisant l’efficacité des interventions sur le terrain. L’analyse des réponses émotionnelles au cours du mois dernier a révélé des variations significatives dans les expériences des participants à travers différentes dimensions. Par exemple, 40 % des participants ont déclaré se sentir parfois dépassés par des événements inattendus qu'ils ne pouvaient pas maîtriser, tandis que 30 % ont affirmé que cela ne leur arrivait jamais. De même, 50 % des répondants ont indiqué se sentir parfois nerveux ou stressés, bien que 30 % aient déclaré ressentir ces émotions presque jamais. La capacité à gérer des problèmes personnels et à contrôler des aspects importants de leur vie a également varié : 50 % ont rapporté une confiance modérée, répondant « parfois », tandis que des proportions moindres ont indiqué « assez souvent » ou « très souvent ».
4. Adaptations comportementales et perception du risque: La majorité des participants (72,2 %) ont déclaré avoir modifié leur comportement en raison des infodémies liées à la mpox, principalement en renforçant les pratiques de prévention (27,1 %), en augmentant la distanciation (25,9 %) et en évitant d’aborder le sujet pour limiter la désinformation (23,5 %), tandis qu’un plus petit nombre a réduit ses interactions avec les bénéficiaires (5,9 %) (figure 1). En revanche, 27,8 % n’ont signalé aucun changement. La perception du risque variait également : 39,6 % se sentaient « pas du tout influencés », tandis que 22,9 % se déclaraient « légèrement » ou « modérément influencés », et 14,6 % se sentaient « fortement influencés ». Ces résultats illustrent les divers impacts des infodémies sur les comportements et la perception du risque des participants.
Réponses mises en place
Pour pallier ces effets, plusieurs mesures ont été adoptées:
- Formation ciblée: Des ateliers de sensibilisation sur l’analyse critique des informations ont permis aux équipes de distinguer les faits réels des rumeurs. Ces formations ont renforcé leur capacité à gérer les interactions communautaires dans un contexte de désinformation.
- Soutien psychologique: La Croix-Rouge a mis en place des groupes de parole et un accompagnement psychologique pour aider les membres à surmonter le stress. Cette initiative a favorisé un environnement de soutien mutuel.
- Canaux d’information centralisés: La création d’une plateforme interne pour les mises à jour officielles sur mpox a réduit la confusion, offrant aux volontaires un accès direct à des informations validées.
Leçons apprises et recommandations
- Importance de la communication interne : Les informations claires et centralisées réduisent l’impact des infodémies et permettent aux équipes de travailler en confiance.
- Renforcement des capacités psycho-sociales : l’inclusion d’un volet de soutien psychologique dans les formations de gestion de crise améliore la résilience des volontaires face au stress prolongé.
- Partenariats avec les médias : la collaboration avec les plateformes médiatiques (dont les radios communautaires) pour diffuser des messages cohérents, contextualisés et fiables, dans les langues locales, contribue à limiter la propagation des rumeurs dans les communautés.
Conclusion
L’épidémie de mpox au Gabon a révélé l’impact des infodémies sur les acteurs de première ligne, soulignant l’importance de stratégies combinant communication, soutien psychologique et formation pour renforcer leur résilience. Cette expérience offre des enseignements précieux pour améliorer la réponse globale aux crises sanitaires, en s’appuyant sur des approches adaptatives et reproductibles. En protégeant ceux qui protègent les autres, ces efforts contribuent à renforcer durablement les capacités des systèmes de santé face aux urgences actuelles et futures.